L'Imam Al-Hussayn et le Jour de 'Achourâ'
Compilé et traduit en français par
Abbas Ahmad al-Bostani
************************************
Introduction du Traducteur
Au Nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux.
Qui dit 'Âchourâ', dit tragédie qui n'a cessé d'émouvoir et de plonger dans la douleur des millions de Musulmans depuis plus de treize siècles, et événement politique crucial qui a influé fortement sur le cheminement de l'expérience islamique.
Tragédie, 'Âchourâ' est en effet le jour anniversaire de l'assassinat tragique du petit-fils chéri du Prophète, l'Imam al-Hussayn, et de quelques dizaines de ses compagnons et proches parents, massacrés en même temps que lui, sous les yeux de leurs femmes et de leurs enfants, sur une terre étrangère, après avoir subi un calvaire douloureux et effectué une marche pénible d'environ deux mille kilomètres, qui les a conduits de Médine (en Arabie) à Karbalâ' (en Irak).
Evénement historique crucial, cette tragédie est l'aboutissement du soulèvement de l'Imam al-Hussayn, qui avait pour but de donner un coup d'arrêt à la légalisation et à la généralisation de la déviation du Message de l'Islam par les Omayyades, et notamment par Yazid qui avait placé son pouvoir personnel et ses vices au-dessus de tous les tabous islamique, et dont les soldats n'ont pas hésité, sur ses ordres, à sévir contre la ville du Prophète, Médine, en s'y livrant à un génocide barbare et à des viols collectifs(1), avant de marcher sur la Mecque, pour y détruire et incendier la Maison de Dieu, la Sainte Ka'ba. La place particulière qu'al-Hussayn occupait dans le coeur du Prophète et des Musulmans, le sacrifice inégalable qu'il a consenti pour défendre la cause sublime à laquelle il s'est identifié, les pratiques odieuses et la répression sanguinaire des autorités illégitimes qu'il a combattues, tous ces facteurs ont fait du soulèvement du petit-fils du Messager de Dieu, le symbole de la résistance à tous les pouvoirs tyranniques et déviationnistes, et l'inspirateur de maintes révoltes et révolutions que les masses musulmanes ont déclenchées depuis lors contre des gouvernants despotiques qui avaient tendance à faire passer le souci de la conservation du pouvoir ou "la raison d'Etat" avant la morale islamique et les préceptes de la Chari'a.
Il est naturel dès lors que tous les régimes héréditaires - des Omayyades aux Ottomans en passant par les Abbassides - qui se sont imposés à la Umma depuis l'assassinat ignoble d'al-Hussayn aient tout fait pour que le récit de ce crime odieux (qu'aucun Musulman - y compris ses instigateurs - ne pouvait ne pas désapprouver) et de ce "Soulèvement noble et rayonnant", (qui ne saurait ne pas exalter l'élan révolutionnaire de tout musulman attaché aux valeurs sublimes de l'Islam authentique et originel, et de tout Musulman hostile à la déviation, à l'injustice et à la tyrannie) ne fût pas porté à la connaissance des masses, et qu'il n'occupât pas la place primordiale qui lui revient légitimement dans l'histoire du Message. C'est ce qui expliquerait sans doute pourquoi la tragédie d'al-Hussayn, les causes et les effets de son Soulèvement, qui n'ont jamais cessé d'émouvoir des dizaines de millions de Musulmans dans les quatre coins du monde, sont relativement ignorés ou partiellement et improprement connus par d'autres musulmans dans beaucoup de régions de la planète, et ce, bien que des dizaines de grands historiens, biographes et écrivains, anciens et contemporains - allant de l'imam Ahmad Ibn Hanbal à Abbas Mahmoud al-Aqqâd, d'Ibn Taymiyyeh à Mohammad Mahdi Chams el-Dine, d'Ibn Kathir à Aboul A'lâ al-Mawdoudî - se soient penchés sur le double aspect de ce sujet, les uns pour mettre en évidence l'atrocité de la tragédie, les autres pour souligner les différentes péripéties de l'événement historique.
Consciente de l'importance du sujet de 'Âchourâ' dans l'histoire de l'Islam et dans le cheminement de l'expérience islamique, et par conséquent de son importance, pour tous ceux qui s'intéressent de près ou de loin à cette histoire, et constatant l'absence d'ouvrages en français le concernant, nous nous sommes proposé de préparer le présent livre à l'intention des lecteurs francophones.
Mais il convient de noter tout de suite que ce modeste livre ne prétend ni restituer l'ensemble des éléments dramatiques de la tragédie pour susciter chez le lecteur l'émotion profonde que celle-ci suscite généralement chez tous ceux qui la connaissent dans ses moindres détails, ni rapporter toutes les péripéties du Soulèvement pour expliquer et justifier son importance dans l'histoire de l'Islam et dans l'esprit et le coeur des Musulmans. Ses auteurs ont seulement voulu décrire les lignes générales de la tragédie et brosser les grands traits de l'événement historique. Soucieux avant tout d'apporter au lecteur le plus possible d'éléments sur le double aspect du sujet, ils ont fait abstraction aussi bien de "l'art" de présenter une tragédie que des détails "techniques" chers à l'historien. Désireux de donner au lecteur une idée générale du "contenu", ils ne se sont pas attardés sur les détails formels des événements rapportés. Tout en prenant un soin particulier à vérifier l'authenticité et l'exactitude des faits historiques qu'ils mentionnent, et dont font part les principaux historiens et transmetteurs de Hadith, qui font autorité chez les différentes écoles et tendances juridico-religieuses musulmanes, ils se sont contentés de renvoyer le lecteur, le plus souvent à deux ou trois d'entre eux - tels Ibn Tâwûs, al-Cheikh al-Mufîd... etc. Ce choix d'un nombre limité de références n'est pas dicté par une préférence ou un parti pris pour celles-ci, mais parce que ces références répétées se chargent elles-mêmes d'énumérer les différentes sources historiques des faits, des Hadiths et des événements soulignés, et de démontrer leur authenticité ou leur bien fondé, ce qui permet aux auteurs de ce livre d'éviter des détails superflus et sans grand intérêt pour un lecteur désirant se faire avant tout une idée d'un sujet dont il n'aurait pas une grande connaissance.
Quant à la traduction, elle a été soumise à ces mêmes préoccupations, c'est-à-dire celles de la primauté du "contenu" sur la "forme", de la clarté des textes sur leurs détails formels, chaque fois que cela était nécessaire. Aussi n'avons-nous pas hésité à supprimer des textes arabes des passages difficilement traduisibles en français ou incompréhensibles pour le lecteur français, lorsque nous estimions que de telles suppressions ne nuisaient pas au contenu et qu'elles facilitaient la lecture et la compréhension du récit.
Abbas Ahmad al-Bostani
****************************
Qui est l'Imam al-Hussayn?
«Je ne me rendrai jamais à vous comme un soumis, ni ne me résignerai jamais comme un esclave».
L'écho de ce cri de refus et de défi qu'a lancé l'Imam al-Hussayn, à la face de la puissance déviationniste omayyade avant de tomber en martyr, retentit encore dans la vallée de Tûfûf(2), comme il a toujours retenti dans les oreilles de toutes les générations qui se sont succédé depuis son assassinat. Il n'a cessé d'agiter toutes les phases de l'histoire, comme un tourbillon qui moissonne les tyrans, ou un volcan qui fait trembler les trônes des injustes, en réveillant toutes les consciences libres et en galvanisant l'esprit révolutionnaire et de jihad missionnaire chaque fois que la déviation et les forces du mal poussent à l'excès leur arrogance.
Depuis son martyre, des millions et des millions de Musulmans se sont rendus à sa tombe pour se rappeler que la sauvegarde du Message et de la Sunna (la Tradition du Prophète) exige parfois le sacrifice de soi, même si l'on a toutes les possibilités de l'éviter.
Aujourd'hui, cette tombe, transformée au fil des siècles en un site imposant de merveilles, dressant ses dômes et ses minarets dorés au centre de Karbalâ' (ville située à une centaine de kilomètres au sud-ouest de Bagdad) témoigne par sa splendeur de l'attachement profond et inébranlable des générations successives de Musulmans à cette personnalité islamique hors du commun, par le sens qu'il a su donner à son combat pour préserver l'Islam d'une déviation imminente.
Au fil des siècles des écoles littéraires spécifiques se sont créées pour dépeindre les tableaux épiques du martyre d'al-Hussayn, et des milliers de littérateurs et des poètes ont consacré leurs plumes et leurs talents à l'évocation et à la de******************ion de sa tragédie, de son héroïsme et des moindres détails de sa noble vie.
Aujourd'hui, on ne compte plus le nombre de révoltes, de soulèvements et de révolutions qui ont éclaté en ayant pour moteur et agent galvanisateur, la mémoire de la Révolution d'al-Hussayn, l'exemple de son sacrifice, de sa foi, et de ses principes.
Quel est donc ce personnage qui a tant marqué l'histoire et les coeurs des musulmans, en général, et des adeptes des "Ahl-ul-Bayt"(3) en particulier? Pourquoi, des Musulmans légitimistes qui se disent avant tout attachés au Coran et à la Sunna du Prophète prennent-ils pour symbole de cet attachement, la personnalité et l'action de cette figure de proue de la légitimité en Islam, al-Hussayn, petit-fils du Prophète?
1- Son appartenance familiale
Al-Hussayn est le fils de l'Imam 'Ali Ibn Abi Tâlib, cousin et gendre du Prophète, et de la Dame Fatima al-Zahrâ, fille chérie du Prophète Muhammad et de la Dame Khadîjah al-Kubrâ. Il est le troisième Imam des Musulmans légitimistes (les Chiites imamites), après son père, l'Imam 'Ali Ibn Abi Tâlib (le lère Imam, et 4ème successeur officiel du Prophète), et son frère l'Imam al-Hassan (2ème Imam).
Al-Hussayn est né à Médine, le 25 Cha'bân de l'an 4 de l'Hégire(4). La famille du Prophète l'a accueilli à sa naissance avec amour et tendresse, et c'est le Messager de Dieu, lui-même, qui lui donna le nom d'al-Hussayn(5).
Al-Hussayn fut élevé et grandi dans le giron du Prophète, de l'Imam 'Ali et de Fâtimah al-Zahrâ.
Il fut donc nourri de la morale prophétique et élevé selon les principes du Message islamique, les principes du Bon Droit, de la justice et de la dignité.
2- Sa position auprès du Prophète et sa place dans la Sunna
Fait significatif - lorsqu'on sait que la Sunna ou la Tradition consiste en les paroles, les gestes et le comportement du Prophète - le Messager de Dieu le couvrait publiquement de son amour et de sa tendresse, et le portait ainsi que son frère aîné, al-Hassan, contre sa poitrine en exprimant à haute voix, devant ses Compagnons, cet amour paternel généreux:
«Ô mon Dieu! Je les aime et j'aime ceux qui les aiment».(6)
La métaphore suivante en dit long sur l'amour que le Prophète éprouvait et exprimait pour ses deux petits-fils:
«Mes deux fils(7) que voici sont mes deux basilics de ce bas-monde ». (8)
Et les propos suivants ne laissent plus de doute sur la portée et la profondeur de cet amour:
«Al-Hussayn fait partie de moi, et je fais partie d'al-Hussayn. Dieu aimera celui qui aura aimé al-Hussayn».(9)
«Celui qui aime al-Hassan et al-Hussayn m'aura aimé, et celui qui les déteste, m'aura détesté».(10)
Propos réitérés et confirmés à maintes autres occasions. Par exemple, lorsqu'un jour, le Prophète qui accomplissait sa prière, que al-Hassan et al-Hussayn se bousculaient sur son dos, en ces moments de recueillement, et que des gens vinrent les éloigner, dit:
«Laissez-les... Par mon père et ma mère, celui qui m'aime, doit les aimer aussi».(11)
Ou encore cette autre métaphore révélatrice et on ne peut plus claire, utilisée par le Prophète pour mettre en évidence la position prédestinée d'al-Hussayn auprès de Dieu:
«Celui qui se réjouirait de voir un homme destiné au Paradis,(12) qu'il regarde al-Hussayn».(13)
Ainsi, le Prophète a donc pris soin de faire connaître aux Musulmans le sort de martyr qui attendait al-Hussayn, dés son enfance et de désigner sa position privilégiée dans la Umma, pour que celle-ci ne pardonne jamais à quiconque aurait le malheur de devenir parmi les assassins de son bien-aimé.
Les assassins d'al-Hussayn ne pourraient jamais prétexter l'oubli ou l'ignorance de ces paroles du Prophète pour qu'on puisse leur pardonner un jour, car le Prophète s'était attaché à les mettre suffisamment en évidence pour que de grandes figures de l'Islam, tels que Abou Bakr al-Çiddiq et Ibn 'Omar, trouvent toujours l'occasion de les répéter à l'intention des Musulmans. En effet c'est Abou Bakr qui a dit un jour:
«J'ai entendu le Messager de Dieu dire: "Al-Hassan et al-Hussayn sont les deux Maîtres de la jeunesse du Paradis"».(14)
Quant à Ibn 'Omar, c'est bien après l'assassina d'al-Hussayn qu'il rappela à des Irakiens venus lui poser un question canonique sur les moustiques, ce que le Prophète avait dit à propos de la position privilégiée qu'occupaient auprès de lui ses deux petits-fils: «Les Irakiens, dit-il, amer, m'interrogent sur les moustiques, alors qu'ils ont tué le fils de la fille du Messager de Dieu, lequel Messager avait dit "ce sont (al-Hassan et al-Hussayn) mes deux basilics(15) dans ce bas monde"».(16)
Conscients de cette place de choix qu'al-Hussayn occupai dans le coeur et la pensée du Prophète et dans sa famille, les Musulmans ne pourront pas ne pas sentir qu'à travers son assassinat, c'était le sang du Prophète qui fut répandu si injustement et si tragiquement dans la terre de Karbalâ', comme nous le verrons plus loin. Ils ne cesseront jamais de penser à ce crime impardonnable perpétré contre la famille du Prophète ne pourra se réparer que par le rétablissement des principes l'Islam pour lesquels l'Imam al-Hussayn s'était soulevé, et p une révolte permanente contre ceux qui persistaient à dévier ces principes. De là les révolutions successives, dont ce d'al-Tawwâbine(17), contre le régime ommayyade, auteur ce crime. Le sang d'al-Hussayn sera ainsi le volcan qui ébranlera les piliers de l'Etat Omayyade et détruira son entité.
Malgré toutes les tentatives perfides des Omayyades de justifier l'assassinat d'al-Hussayn et de déformer la noble cause pour laquelle il se battait, l'attachement des Musulmans au petit-fils du Prophète alla grandissant après son martyre. Car, comment auraient-ils pu se détacher de lui, s'ils voulaient rester attachés au Message de leur religion, alors qu'ils savaient que ce martyr faisait partie des Ahl-ul-Bayt (la famille du Prophète) que le Coran leur ordonne d'aimer:
«Dis: " Je ne vous demande aucun salaire pour cela, si ce n'est votre affection envers les proches".(18) A celui qui accomplit une telle action, nous répondrons par quelque chose de plus beau encore». (Coran, XLII, 23);
et dont il souligne la purification:
«Ô vous, les gens de la Maison! Dieu veut seulement éloigner de vous la souillure et vous purifier totalement». (Coran, XXXIII, 33);
et qu'il associe au Prophète:
«Si quelqu'un te contredit après ce que tu as vécu en fait de science, dit: "Venez! Appelons nos fils(19) et vos fils, nos femmes et vos femmes, nous ferons alors une exécration réciproque en appelant une malédiction de Dieu sur les menteurs"». (Coran, III, 61)
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Compilé et traduit en français par
Abbas Ahmad al-Bostani
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Introduction du Traducteur
Au Nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux.
Qui dit 'Âchourâ', dit tragédie qui n'a cessé d'émouvoir et de plonger dans la douleur des millions de Musulmans depuis plus de treize siècles, et événement politique crucial qui a influé fortement sur le cheminement de l'expérience islamique.
Tragédie, 'Âchourâ' est en effet le jour anniversaire de l'assassinat tragique du petit-fils chéri du Prophète, l'Imam al-Hussayn, et de quelques dizaines de ses compagnons et proches parents, massacrés en même temps que lui, sous les yeux de leurs femmes et de leurs enfants, sur une terre étrangère, après avoir subi un calvaire douloureux et effectué une marche pénible d'environ deux mille kilomètres, qui les a conduits de Médine (en Arabie) à Karbalâ' (en Irak).
Evénement historique crucial, cette tragédie est l'aboutissement du soulèvement de l'Imam al-Hussayn, qui avait pour but de donner un coup d'arrêt à la légalisation et à la généralisation de la déviation du Message de l'Islam par les Omayyades, et notamment par Yazid qui avait placé son pouvoir personnel et ses vices au-dessus de tous les tabous islamique, et dont les soldats n'ont pas hésité, sur ses ordres, à sévir contre la ville du Prophète, Médine, en s'y livrant à un génocide barbare et à des viols collectifs(1), avant de marcher sur la Mecque, pour y détruire et incendier la Maison de Dieu, la Sainte Ka'ba. La place particulière qu'al-Hussayn occupait dans le coeur du Prophète et des Musulmans, le sacrifice inégalable qu'il a consenti pour défendre la cause sublime à laquelle il s'est identifié, les pratiques odieuses et la répression sanguinaire des autorités illégitimes qu'il a combattues, tous ces facteurs ont fait du soulèvement du petit-fils du Messager de Dieu, le symbole de la résistance à tous les pouvoirs tyranniques et déviationnistes, et l'inspirateur de maintes révoltes et révolutions que les masses musulmanes ont déclenchées depuis lors contre des gouvernants despotiques qui avaient tendance à faire passer le souci de la conservation du pouvoir ou "la raison d'Etat" avant la morale islamique et les préceptes de la Chari'a.
Il est naturel dès lors que tous les régimes héréditaires - des Omayyades aux Ottomans en passant par les Abbassides - qui se sont imposés à la Umma depuis l'assassinat ignoble d'al-Hussayn aient tout fait pour que le récit de ce crime odieux (qu'aucun Musulman - y compris ses instigateurs - ne pouvait ne pas désapprouver) et de ce "Soulèvement noble et rayonnant", (qui ne saurait ne pas exalter l'élan révolutionnaire de tout musulman attaché aux valeurs sublimes de l'Islam authentique et originel, et de tout Musulman hostile à la déviation, à l'injustice et à la tyrannie) ne fût pas porté à la connaissance des masses, et qu'il n'occupât pas la place primordiale qui lui revient légitimement dans l'histoire du Message. C'est ce qui expliquerait sans doute pourquoi la tragédie d'al-Hussayn, les causes et les effets de son Soulèvement, qui n'ont jamais cessé d'émouvoir des dizaines de millions de Musulmans dans les quatre coins du monde, sont relativement ignorés ou partiellement et improprement connus par d'autres musulmans dans beaucoup de régions de la planète, et ce, bien que des dizaines de grands historiens, biographes et écrivains, anciens et contemporains - allant de l'imam Ahmad Ibn Hanbal à Abbas Mahmoud al-Aqqâd, d'Ibn Taymiyyeh à Mohammad Mahdi Chams el-Dine, d'Ibn Kathir à Aboul A'lâ al-Mawdoudî - se soient penchés sur le double aspect de ce sujet, les uns pour mettre en évidence l'atrocité de la tragédie, les autres pour souligner les différentes péripéties de l'événement historique.
Consciente de l'importance du sujet de 'Âchourâ' dans l'histoire de l'Islam et dans le cheminement de l'expérience islamique, et par conséquent de son importance, pour tous ceux qui s'intéressent de près ou de loin à cette histoire, et constatant l'absence d'ouvrages en français le concernant, nous nous sommes proposé de préparer le présent livre à l'intention des lecteurs francophones.
Mais il convient de noter tout de suite que ce modeste livre ne prétend ni restituer l'ensemble des éléments dramatiques de la tragédie pour susciter chez le lecteur l'émotion profonde que celle-ci suscite généralement chez tous ceux qui la connaissent dans ses moindres détails, ni rapporter toutes les péripéties du Soulèvement pour expliquer et justifier son importance dans l'histoire de l'Islam et dans l'esprit et le coeur des Musulmans. Ses auteurs ont seulement voulu décrire les lignes générales de la tragédie et brosser les grands traits de l'événement historique. Soucieux avant tout d'apporter au lecteur le plus possible d'éléments sur le double aspect du sujet, ils ont fait abstraction aussi bien de "l'art" de présenter une tragédie que des détails "techniques" chers à l'historien. Désireux de donner au lecteur une idée générale du "contenu", ils ne se sont pas attardés sur les détails formels des événements rapportés. Tout en prenant un soin particulier à vérifier l'authenticité et l'exactitude des faits historiques qu'ils mentionnent, et dont font part les principaux historiens et transmetteurs de Hadith, qui font autorité chez les différentes écoles et tendances juridico-religieuses musulmanes, ils se sont contentés de renvoyer le lecteur, le plus souvent à deux ou trois d'entre eux - tels Ibn Tâwûs, al-Cheikh al-Mufîd... etc. Ce choix d'un nombre limité de références n'est pas dicté par une préférence ou un parti pris pour celles-ci, mais parce que ces références répétées se chargent elles-mêmes d'énumérer les différentes sources historiques des faits, des Hadiths et des événements soulignés, et de démontrer leur authenticité ou leur bien fondé, ce qui permet aux auteurs de ce livre d'éviter des détails superflus et sans grand intérêt pour un lecteur désirant se faire avant tout une idée d'un sujet dont il n'aurait pas une grande connaissance.
Quant à la traduction, elle a été soumise à ces mêmes préoccupations, c'est-à-dire celles de la primauté du "contenu" sur la "forme", de la clarté des textes sur leurs détails formels, chaque fois que cela était nécessaire. Aussi n'avons-nous pas hésité à supprimer des textes arabes des passages difficilement traduisibles en français ou incompréhensibles pour le lecteur français, lorsque nous estimions que de telles suppressions ne nuisaient pas au contenu et qu'elles facilitaient la lecture et la compréhension du récit.
Abbas Ahmad al-Bostani
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Qui est l'Imam al-Hussayn?
«Je ne me rendrai jamais à vous comme un soumis, ni ne me résignerai jamais comme un esclave».
L'écho de ce cri de refus et de défi qu'a lancé l'Imam al-Hussayn, à la face de la puissance déviationniste omayyade avant de tomber en martyr, retentit encore dans la vallée de Tûfûf(2), comme il a toujours retenti dans les oreilles de toutes les générations qui se sont succédé depuis son assassinat. Il n'a cessé d'agiter toutes les phases de l'histoire, comme un tourbillon qui moissonne les tyrans, ou un volcan qui fait trembler les trônes des injustes, en réveillant toutes les consciences libres et en galvanisant l'esprit révolutionnaire et de jihad missionnaire chaque fois que la déviation et les forces du mal poussent à l'excès leur arrogance.
Depuis son martyre, des millions et des millions de Musulmans se sont rendus à sa tombe pour se rappeler que la sauvegarde du Message et de la Sunna (la Tradition du Prophète) exige parfois le sacrifice de soi, même si l'on a toutes les possibilités de l'éviter.
Aujourd'hui, cette tombe, transformée au fil des siècles en un site imposant de merveilles, dressant ses dômes et ses minarets dorés au centre de Karbalâ' (ville située à une centaine de kilomètres au sud-ouest de Bagdad) témoigne par sa splendeur de l'attachement profond et inébranlable des générations successives de Musulmans à cette personnalité islamique hors du commun, par le sens qu'il a su donner à son combat pour préserver l'Islam d'une déviation imminente.
Au fil des siècles des écoles littéraires spécifiques se sont créées pour dépeindre les tableaux épiques du martyre d'al-Hussayn, et des milliers de littérateurs et des poètes ont consacré leurs plumes et leurs talents à l'évocation et à la de******************ion de sa tragédie, de son héroïsme et des moindres détails de sa noble vie.
Aujourd'hui, on ne compte plus le nombre de révoltes, de soulèvements et de révolutions qui ont éclaté en ayant pour moteur et agent galvanisateur, la mémoire de la Révolution d'al-Hussayn, l'exemple de son sacrifice, de sa foi, et de ses principes.
Quel est donc ce personnage qui a tant marqué l'histoire et les coeurs des musulmans, en général, et des adeptes des "Ahl-ul-Bayt"(3) en particulier? Pourquoi, des Musulmans légitimistes qui se disent avant tout attachés au Coran et à la Sunna du Prophète prennent-ils pour symbole de cet attachement, la personnalité et l'action de cette figure de proue de la légitimité en Islam, al-Hussayn, petit-fils du Prophète?
1- Son appartenance familiale
Al-Hussayn est le fils de l'Imam 'Ali Ibn Abi Tâlib, cousin et gendre du Prophète, et de la Dame Fatima al-Zahrâ, fille chérie du Prophète Muhammad et de la Dame Khadîjah al-Kubrâ. Il est le troisième Imam des Musulmans légitimistes (les Chiites imamites), après son père, l'Imam 'Ali Ibn Abi Tâlib (le lère Imam, et 4ème successeur officiel du Prophète), et son frère l'Imam al-Hassan (2ème Imam).
Al-Hussayn est né à Médine, le 25 Cha'bân de l'an 4 de l'Hégire(4). La famille du Prophète l'a accueilli à sa naissance avec amour et tendresse, et c'est le Messager de Dieu, lui-même, qui lui donna le nom d'al-Hussayn(5).
Al-Hussayn fut élevé et grandi dans le giron du Prophète, de l'Imam 'Ali et de Fâtimah al-Zahrâ.
Il fut donc nourri de la morale prophétique et élevé selon les principes du Message islamique, les principes du Bon Droit, de la justice et de la dignité.
2- Sa position auprès du Prophète et sa place dans la Sunna
Fait significatif - lorsqu'on sait que la Sunna ou la Tradition consiste en les paroles, les gestes et le comportement du Prophète - le Messager de Dieu le couvrait publiquement de son amour et de sa tendresse, et le portait ainsi que son frère aîné, al-Hassan, contre sa poitrine en exprimant à haute voix, devant ses Compagnons, cet amour paternel généreux:
«Ô mon Dieu! Je les aime et j'aime ceux qui les aiment».(6)
La métaphore suivante en dit long sur l'amour que le Prophète éprouvait et exprimait pour ses deux petits-fils:
«Mes deux fils(7) que voici sont mes deux basilics de ce bas-monde ». (8)
Et les propos suivants ne laissent plus de doute sur la portée et la profondeur de cet amour:
«Al-Hussayn fait partie de moi, et je fais partie d'al-Hussayn. Dieu aimera celui qui aura aimé al-Hussayn».(9)
«Celui qui aime al-Hassan et al-Hussayn m'aura aimé, et celui qui les déteste, m'aura détesté».(10)
Propos réitérés et confirmés à maintes autres occasions. Par exemple, lorsqu'un jour, le Prophète qui accomplissait sa prière, que al-Hassan et al-Hussayn se bousculaient sur son dos, en ces moments de recueillement, et que des gens vinrent les éloigner, dit:
«Laissez-les... Par mon père et ma mère, celui qui m'aime, doit les aimer aussi».(11)
Ou encore cette autre métaphore révélatrice et on ne peut plus claire, utilisée par le Prophète pour mettre en évidence la position prédestinée d'al-Hussayn auprès de Dieu:
«Celui qui se réjouirait de voir un homme destiné au Paradis,(12) qu'il regarde al-Hussayn».(13)
Ainsi, le Prophète a donc pris soin de faire connaître aux Musulmans le sort de martyr qui attendait al-Hussayn, dés son enfance et de désigner sa position privilégiée dans la Umma, pour que celle-ci ne pardonne jamais à quiconque aurait le malheur de devenir parmi les assassins de son bien-aimé.
Les assassins d'al-Hussayn ne pourraient jamais prétexter l'oubli ou l'ignorance de ces paroles du Prophète pour qu'on puisse leur pardonner un jour, car le Prophète s'était attaché à les mettre suffisamment en évidence pour que de grandes figures de l'Islam, tels que Abou Bakr al-Çiddiq et Ibn 'Omar, trouvent toujours l'occasion de les répéter à l'intention des Musulmans. En effet c'est Abou Bakr qui a dit un jour:
«J'ai entendu le Messager de Dieu dire: "Al-Hassan et al-Hussayn sont les deux Maîtres de la jeunesse du Paradis"».(14)
Quant à Ibn 'Omar, c'est bien après l'assassina d'al-Hussayn qu'il rappela à des Irakiens venus lui poser un question canonique sur les moustiques, ce que le Prophète avait dit à propos de la position privilégiée qu'occupaient auprès de lui ses deux petits-fils: «Les Irakiens, dit-il, amer, m'interrogent sur les moustiques, alors qu'ils ont tué le fils de la fille du Messager de Dieu, lequel Messager avait dit "ce sont (al-Hassan et al-Hussayn) mes deux basilics(15) dans ce bas monde"».(16)
Conscients de cette place de choix qu'al-Hussayn occupai dans le coeur et la pensée du Prophète et dans sa famille, les Musulmans ne pourront pas ne pas sentir qu'à travers son assassinat, c'était le sang du Prophète qui fut répandu si injustement et si tragiquement dans la terre de Karbalâ', comme nous le verrons plus loin. Ils ne cesseront jamais de penser à ce crime impardonnable perpétré contre la famille du Prophète ne pourra se réparer que par le rétablissement des principes l'Islam pour lesquels l'Imam al-Hussayn s'était soulevé, et p une révolte permanente contre ceux qui persistaient à dévier ces principes. De là les révolutions successives, dont ce d'al-Tawwâbine(17), contre le régime ommayyade, auteur ce crime. Le sang d'al-Hussayn sera ainsi le volcan qui ébranlera les piliers de l'Etat Omayyade et détruira son entité.
Malgré toutes les tentatives perfides des Omayyades de justifier l'assassinat d'al-Hussayn et de déformer la noble cause pour laquelle il se battait, l'attachement des Musulmans au petit-fils du Prophète alla grandissant après son martyre. Car, comment auraient-ils pu se détacher de lui, s'ils voulaient rester attachés au Message de leur religion, alors qu'ils savaient que ce martyr faisait partie des Ahl-ul-Bayt (la famille du Prophète) que le Coran leur ordonne d'aimer:
«Dis: " Je ne vous demande aucun salaire pour cela, si ce n'est votre affection envers les proches".(18) A celui qui accomplit une telle action, nous répondrons par quelque chose de plus beau encore». (Coran, XLII, 23);
et dont il souligne la purification:
«Ô vous, les gens de la Maison! Dieu veut seulement éloigner de vous la souillure et vous purifier totalement». (Coran, XXXIII, 33);
et qu'il associe au Prophète:
«Si quelqu'un te contredit après ce que tu as vécu en fait de science, dit: "Venez! Appelons nos fils(19) et vos fils, nos femmes et vos femmes, nous ferons alors une exécration réciproque en appelant une malédiction de Dieu sur les menteurs"». (Coran, III, 61)
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